Entretien avec un enquêteur en incendie

L’incendie a causé des dommages considérables. Certaines pièces ont quasi entièrement brûlé. Mais en quelques semaines seulement, on connaît la cause du sinistre. Qui sont les personnes qui résolvent ces énigmes ? Bienvenue dans le monde fascinant des enquêteurs en incendie.

Dans le canton de Saint-Gall, l'enquête en incendie est menée par l’unité Incendie et cas spéciaux, rattachée au centre de compétences forensique de la police cantonale de Saint-Gall. Les six membres de cette unité enquêtent non seulement sur les causes des incendies ou des explosions, mais travaillent également dans le domaine des armes à feu / de la balistique, des traces d'armes, de la forensique des véhicules, des mesures en 3D, etc. 

En Suisse, plus de 100 expert-e-s en criminalistique enquêtent sur les causes des incendies. Dans de nombreux corps de police, l'enquête en incendie n’est pas séparée des travaux de l'unité criminalistique : elle y est rattachée. Les collaborateurs de la criminalistique sont des touche-à-tout dont le travail couvre l’éventail complet de la technique criminalistique, y compris l'enquête en incendie.

Questions à Marcel Christen,
police cantonale de Saint-Gall,
centre de compétences forensique,
unité Incendie et cas spéciaux

Monsieur Christen, quand fait-on appel à un enquêteur en incendie ?
L’enquêteur en incendie est toujours mandaté quand la cause du sinistre n’est pas claire. En règle générale, il n’élucide pas seulement les incendies, mais aussi les explosions.

Faut-il toujours qu’il y ait eu un délit pour qu'un enquêteur en incendie intervienne ?
Généralement, la cause de l’incendie n’est pas connue quand nous intervenons. Notre travail sur le terrain permet alors de déterminer la cause de l'incendie ou au moins d'écarter certaines pistes. Seules nos conclusions permettront de déterminer si la cause de l’incendie pourrait avoir des conséquences pénales pour les personnes impliquées. Cette appréciation juridique incombe non pas à la police, mais au ministère public.

Quel est votre mandat ?
En cas d’incendie, c'est généralement le ministère public qui dirige la procédure. Il décide aussi quand un ouvrage sinistré peut être rendu à son propriétaire et si des mesures de contrainte seront prises ou demandées à l'encontre des personnes coupables (par ex. perquisitions à domicile, détention préventive). Le mandat fondamental de la police est de clarifier la cause de l’incendie. En plus de notre activité forensique, des personnes impliquées sont aussi interrogées sur l’affaire et des investigations sont menées.

À quel service les enquêteurs en incendie sont-ils rattachés ?
En Suisse et dans de nombreux autres pays, les enquêteurs en incendie font partie de la police, dans les unités criminologiques ou forensiques. Mais dans certains pays, l'enquête en incendie est menée par les assurances ou des instituts privés et seul le travail d’enquête à proprement parler est effectué par la police.

« Il faut se projeter dans le passé pour découvrir l’origine de l’incendie et la manière dont le feu pourrait s'être propagé ».

Vous arrivez devant un bâtiment incendié. Par où commencez-vous vos investigations ?
Il est important d’être aussi neutre et objectif que possible à notre arrivée sur les lieux. Il est essentiel de trouver la zone de démarrage de l'incendie ou au moins de la délimiter. Les photos et vidéos du début de l'incendie sont d'une grande aide. Ensuite, nous cherchons de possibles sources d’ignition dans cette zone. Ce travail peut s'avérer très physique, car il faut souvent évacuer les gravats à la main et les examiner. En principe, moins les lieux sont brûlés, plus il est facile de trouver des indices. Nous devons tenir compte de facteurs tels que la disposition des objets, la structure du bâtiment, la réaction au feu des matériaux ou la direction du vent, et toujours nous projeter dans le passé pour découvrir ce qui a causé l’incendie et la manière dont le feu pourrait s'être propagé. Pour trouver la cause d’un incendie, nous travaillons toujours par élimination : nous passons en revue toutes les causes possibles puis écartons celles qui ne collent pas. Si possible, nous veillons aussi à ne pas nous rendre seuls sur le lieu de l’incendie, car quatre yeux voient mieux que deux et cela permet d’éviter de tirer des conclusions hâtives.

Quels sont les outils nécessaires ?
Nous avons à notre disposition des équipements de protection et divers dispositifs techniques pour travailler sur les lieux de l’incendie. Nous respectons le principe du « noir et blanc », à savoir la séparation des zones sales dites « noires » et des zones propres dites « blanches ». Cette méthodologie nous permet de nous protéger de manière optimale des nombreuses substances toxiques présentes sur le lieu d'un incendie, et d’éviter de les ramener dans des « zones blanches » comme les véhicules d'intervention, les bureaux ou les locaux communs. Pour documenter les incendies et les explosions, nous utilisons des caméras, mais aussi des drones et un scanner 3D. Nous disposons également de récipients spéciaux pour prélever des échantillons de gravats en cas de suspicions d’incendie volontaire. Nous les envoyons ensuite au laboratoire pour analyse afin de rechercher des traces d'accélérateurs de feu.

Pour trouver ce type de substance sur les lieux de l’incendie, nous utilisons des équipements techniques, mais nous faisons aussi appel à des chiens renifleurs. Actuellement, une femme et un homme maîtres-chiens forment leurs animaux à la détection sur les lieux d’incendie. Les deux chiens nous seront très utiles sur le terrain, car leur flair sera le moyen le plus efficace pour trouver des traces d'accélérateurs de feu. L’appareil à rayons X nous aide aussi en nous permettant de voir à l’intérieur des appareils électroniques calcinés, des interrupteurs, des prises, des fusibles, etc.

Quelles sont les causes d’incendie les plus fréquentes ?
La cause la plus courante est une erreur humaine ou une inattention. Par exemple, une plaque de cuisson restée enclenchée, des bougies restées allumées, des défauts au niveau du chauffage, des installations électriques défectueuses, une utilisation inadéquate d’appareils de chauffage ou encore des cendres et mégots éliminés sans précaution.

Que faites-vous de vos observations ?
Il faut toujours distinguer les observations objectives des observations subjectives. La forensique est axée sur les découvertes objectives ainsi que sur l’interprétation des indices trouvés et préservés. Les investigations subjectives sont basées sur les témoignages de personnes ou sur la situation professionnelle, personnelle et financière des suspects potentiels.

Pour éviter tout parti pris, il est utile de séparer l’enquête scientifique et technique et le côté personnel, subjectif. À la police cantonale de Saint-Gall, ce sont donc les experts en criminalistique de l'unité Incendie et cas spéciaux qui analysent les causes du sinistre sur place et en laboratoire. Les enquêtes en elles-mêmes (par ex. interrogatoires de personnes, clarifications auprès des assurances, enquêtes auprès de l'entourage, exécution de mesures de contrainte, etc.) sont par contre menées par la police régionale ou par des enquêteurs de la police criminelle. Mais il existe aussi des corps de police en Suisse dans lesquels les unités d’enquête en incendie effectuent non seulement les investigations sur les causes de l'incendie, mais aussi les enquêtes liées au sinistre.

Quelles sont les interventions les plus difficiles ?
Les enquêtes sur les causes d’un incendie comptent parmi les domaines les plus pointus de la criminalistique, car les indices sont fortement détériorés, voire détruits par le feu. Plus un incendie dure longtemps, plus il est difficile de trouver des indices sur les lieux. Quand un ouvrage a brûlé complètement, il est donc d'autant plus difficile pour nous de trouver la cause du sinistre. En tant qu’enquêteur en incendie, il faut savoir accepter qu’il y aura toujours des cas où les causes du sinistre ne pourront pas être déterminées avec précision.

L'essentiel est la prévention

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Maintenant, parlons un peu de vous. Pourquoi êtes-vous devenu enquêteur en incendie ?
À l’origine, j’ai fait un apprentissage d’électro-installateur, ce qui coïncide parfois bien avec mon activité actuelle, car près du tiers de tous les incendies sont dus à l’électricité. Peu après la fin de mon école de police, j’ai suivi des cours pour obtenir le diplôme en criminalistique et j’ai travaillé durant quelques années non pas spécifiquement comme enquêteur en incendie, mais plus généralement comme technicien au sein de l'unité criminalistique. En 2018, la police cantonale a séparé les activités d'enquête en incendie de la criminalistique et les a externalisées dans une nouvelle unité Incendie et cas spéciaux. Je travaille depuis lors dans cette unité. En Suisse, il n’existe pas de formation régulière ni d’études pour devenir enquêteur en incendie. Mais différents cours et formations continues sont proposés à l’échelle nationale et internationale. Notre unité comporte trois policiers et trois employés civils titulaires d'un diplôme en sciences naturelles ou d'un diplôme technique. La collaboration entre des policiers et des civils est très enrichissante.

« Un enquêteur en incendie ne doit rien lâcher, il doit être curieux mais aussi faire preuve de scepticisme ».

Qu'est-ce qui caractérise un enquêteur en incendie ? Quelles sont les compétences particulières à avoir ?
Un enquêteur en incendie ne doit rien lâcher, il doit être curieux mais aussi faire preuve de scepticisme. Il faut aussi s'intéresser aux processus physiques et chimiques et donc avoir des connaissances en sciences naturelles. Et aimer le travail physique en plein air.

Comment réagissez-vous aux situations difficiles ?
Quand on travaille dans la police, on est obligatoirement confronté à des situations difficiles. C'est aussi le cas en criminalistique. Il est important de pouvoir parler de ses souffrances psychiques. La police cantonale de Saint-Gall emploie des personnes spécialement formées (peer support) qui peuvent nous apporter une aide et un soutien immédiats. Si nécessaire, nous pouvons aussi faire appel à des spécialistes externes pour gérer les événements difficiles.

Combien d’interventions les enquêteurs en incendie de la police cantonale de Saint-Gall effectuent-ils par an en moyenne ?
Nous enquêtons sur 130 à 150 incendies par an en moyenne. En tant que centre de compétences forensique de Saint-Gall, nous intervenons si nécessaire en renfort dans d'autres cantons de Suisse orientale ou au Liechtenstein pour enquêter sur les causes d’incendies ou d'explosions.

Combien de temps dure une enquête en incendie, en moyenne ?
Les investigations en elles-mêmes peuvent durer entre une heure et plusieurs jours, voire plusieurs semaines.

Quel est le taux de réussite des enquêtes en incendie ?
Il est difficile d’indiquer un véritable taux de réussite pour l’enquête sur les causes d’un incendie. Souvent, il reste plusieurs causes possibles après la fin des investigations et il n'est pas possible d’identifier une seule cause de manière absolue.

À quoi faites-vous particulièrement attention quand vous êtes à la maison, pour éviter les incendies ?
Dans ma maison, j’ai installé de nombreux détecteurs de fumée pour que nous soyons avertis le plus tôt possible d’un éventuel départ de feu. Je suis aussi particulièrement attentif, durant la période de l’Avent, à éteindre toutes les bougies avant de sortir.

 

Merci Monsieur Christen pour cet entretien passionnant !

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